4.01.2012

30.02 au 30.03. Droit administratif

2. La règle du parallélisme des compétences



Il arrive souvent que des textes désignent des autorités compétentes pour prendre des AAU mais oublient de préciser quelle est l’autorité compétente pour les modifier ou les abroger

CE Sect., 1959, « FOURRE-CORMERAY » : dégage la règle du parallélisme des compétences, l’autorité administrative compétente pour modifier ou abroger un AAU est l’autorité qui l’a pris.



C) Les dérogations aux règles de compétence

1. La prorogation de compétence



= la possibilité pour une autorité désinvestie de continuer à prendre des AAU en attendant l’investiture de son successeur.

Art.L2122-15CGCT prévoit que les maires et les adjoints démissionnaires continuent à exercer leurs fonctions jusqu’à l’installation de leurs successeurs.

CE Ass., 1962, « BROCAS » : Règle selon laquelle un gouvernement démissionnaire peut « continuer à procéder à l’expédition des affaires courantes jusqu’à son remplacement ». C’est une prorogation de compétence car cela revient à prendre des AAU.



    1. La délégation de compétence



Décision d'une autorité administrative de confier une partie de ses tâches à une autre autorité administrative.

Cela permet d'alléger la tâche aux autorités administratives débordées de travail. Il s'agit aussi de rapprocher l'administration des administrés car l'autorité qui reçoit la délégation est forcément hiérarchiquement inférieure.



  1. Les conditions de la délégation



3 conditions cumulatives:

  • elle n'est possible que si un texte l'autorise.

EX :

  • Art 13 C° autorise le PR à déléguer certains de ses pouvoirs au PM.
  • Art 21 C° autorise le PM à déléguer aux ministres
  • Décret 27 juillet 2005 autorise les ministres à déléguer soit aux membres de leur cabinet soit aux fonctionnaires placés sous leurs ordres.
  • Décret 29 avril 2004 autorise les préfets à déléguer soit au sous-préfet soit à différents fonctionnaires placés sous ses ordres
  • Art L122-18 CGCT autorise les maires à déléguer à leurs adjoints (pas les conseillers municipaux, Arrêt CE 1994 Ville de Lyon confirme cela)

  • elle doit être publiée : la délégation de compétence est analysée comme un règlement.
  • elle doit être d'une « précision suffisante » : la délégation ne doit porter que sur une partie seulement des fonctions d'une autorité déléguante ; elle ne peut pas tout déléguer. Si elle est vague elle est totale.

CE, 1987, « Ministre de l'économie C/ Sté Mercure Paris Etoile » : une ordonnance de 1945 permettait au ministre de l'économie de déléguer au préfet la fixation des prix. Une délégation de compétence est décidée en 1982, elle va être annulée par le CE car elle est trop floue (elle permettait au préfet de déroger librement à tous les arrêtés ministériels de fixation des prix).



  1. Les effets



Il faut distinguer deux catégories de délégation de compétence: la délégation de pouvoir et la délégation de signature.

  • Les effets de la délégations de pouvoir

3 effets juridiques :

  • elle désaisit le déléguant au profit du délégataire → le déléguant n'a plus le droit d'évoquer une affaire déléguée c’est-à-dire qu'il ne peut plus la traiter lui-même.
  • elle est abstraite → consentie d'autorité à autorité. Si le déléguant ou le délégataire change, la délégation reste valable tant qu'elle n'a pas été abrogée
  • Les AAU qui sont pris par le délégataire dans le cadre d’une délégation de pouvoir sont ses propres actes. Ils ne sont pas réputés des actes de l’autorité délégante.

  • Les effets de la délégation de signature

La délégation de signature a trois effets inverses:

  • Il n'y a pas de dessaisissement → le délégant peut traiter à tout moment une affaire déléguée sans abrogation.
  • Elle est concrète c’est-à-dire nominative → consentie à une personne nominativement désignée.
  • Les AAU qui sont pris par le délégataire sont juridiquement réputés émaner du délégant.



  1. La suppléance et l'intérim



Ce sont des synonymes qui visent le remplacement d'autorités absentes ou empêchées.

On parle d'absence lorsqu'une autorité n'est pas présente pour des raisons normales de service.

EX : la mission à l'étranger.

En revanche, l'empêchement renvoi à des raisons anormales.

EX : maladies, décès, démission.

En théorie il y a une petite différence. On considérait traditionnellement que la suppléance visait le remplacement prévue par un texte alors que l'intérim désignait le remplacement spontané.

Exemple de suppléance

  • Art L2122-17 CGCT → remplacement d'un maire par un adjoint.
  • Art 7 C° → en cas d'empêchement, le PR est remplacé par le PSénat. Or, on parle toujours du président par intérim. Termes identiques aujourd'hui.

Exemples d'intérim: tradition républicaine qui consiste à remplacer le PM par un ministre lorsqu'il part à l'étranger.

L'intérimaire ou le suppléant jouit de « l'intégralité des pouvoirs » de l'autorité qu'il remplace → CC, 22 janvier 1990, « SECURITE SOCIALE ». Sauf texte contraire.

EX : Art 7 C° interdit deux choses au PR suppléant : la dissolution de l'AN et le référendum.



  1. La théorie des fonctionnaires de fait



Il y a en fait deux théories différentes:

  • Celle liée à la théorie des circonstances exceptionnelles → permet à n'importe quel administré de prendre de façon valable des AAU à la place d'une autorité administrative indisponible (CE, 1948, « MARION »). C’est une dérogation aux règles normales de compétence
  • Celle liée à la théorie de l'apparence en dehors de toute circonstance exceptionnelle. Au début du XXème siècle, Jèze parlait d'investiture plausible = dès lors qu'une personne a l'apparence plausible d'une vraie autorité administrative, ses AAU sont considérés comme légaux dans un soucis de sécurité juridique.

CE Ass., 1983, « CHARBONNEL »  → concerne des élections pour constituer un Conseil Général. Un bureau est élu. Ce bureau prend des décisions et on s’aperçoit que ce bureau était constitué illégalement. Tous les actes pris par ce bureau devraient être entachés d’incompétence mais le CE a estimé qu’il fallait faire jouer la théorie de l’apparence et ces actes sont considérés comme légaux.



  1. Le problème de la compétence des ministres pour prendre des règlements



En droit français, aucun texte n’a donné aux ministres le pouvoir de prendre des règlements de façon générale. C’est uniquement le Président de la République et le Premier ministre qui disposent de ce pouvoir pour éviter le risque de cacophonie. Il y a trois solutions envisageables :

  • Un changement de jurisprudence qui leur reconnaîtrait le pouvoir de règlement générale. Cela a été vu dans CE, 1969, « DISTELLERIE BRABANT ET Cie » qui y a renoncé. Mme Questiaux a proposé de profiter de cette affaire pour donner un pouvoir réglementaire aux ministres mais le camp majoritaire a refusé. Le ministre des finances avait pris un règlement qui une portée très générale. Le CE a estimé qu’il fallait annuler le règlement pour incompétence du ministre.
  • Donner un tel pouvoir par une loi. Ce n’est plus possible depuis 1989 car depuis cette date, le CC° s’y oppose avec la décision du 17 janvier 1989, « CSA ». Le Conseil dit qu’une loi ne peut confier de pouvoir réglementaire a une autorité autre que le Premier ministre que pour des mesures de portée limitée.
  • On pourrait profiter de la révision de la C° pour donner un pouvoir réglementaire générale mais le Gouvernement n’envisage pas de le faire.

Pour permettre aux ministres de gérer au mieux leurs ministères, on leur a reconnu d’autres pouvoirs :

  • Le contreseing parce que contre signer un acte du Premier ministre, c’est participer à son pouvoir réglementaire.
  • La possibilité de se voir attribuer par un texte, un pouvoir réglementaire limité.

EX : la loi de 1845 permet au ministre des transports de réglementer la police des chemins de fer. L’art. L424-1 du Code de l’environnement prévoit un pouvoir du ministre de la chasse de réglementer la protection du gibier.

  • La jurisprudence du CE accepte qu’un simple décret ouvre aussi un pouvoir réglementaire limité au ministre.

EX : le décret du 28 juin 1973 intégré au Code de la route prévoit l’obligation de porter la ceinture de sécurité. Pour la réglementation de détail, le décret ouvre le pouvoir au ministre et aux préfets.

  • La jurisprudence « Jamart » de 1936 ouvre au ministre comme à tout chef de service, un pouvoir réglementaire limité qui consiste à prendre tous les règlements nécessaires au bon fonctionnement de leurs services. CE, 1950, « DEHAENE » est une simple application de JAMART qui ajoute qu’un ministre peut réglementer le droit de grève de ses agents. CE Ass., 2004, « Asso LIBERTE, INFORMATION, SANTE » est une simple application de la jurisprudence JAMART. Le minist re de la défense nationale prend un règlement qui impose aux militaires de se vacciner contre certaines maladies tropicales. La minorité dit que ce serait un pouvoir supplémentaire ouvert au ministre de la défense.
  • Le pouvoir de prendre des circulaires en MOI : le pouvoir qu’ont les ministres de prendre des MOI leur permet de réagir à certaines situations et c’est un palliatif à l’absence de pouvoir réglementaire général.
  • Le pouvoir de prendre des directives avec CE, 1970, « CREDIT FONCIER DE France ».



§2. Les règles de forme



Distinction fondamentale entre deux types de formalités: substantielles et accessoires.

Les formalités substantielles sont celles dont la violation entraîne l'annulation de l'AAU pour vice de forme. A l'inverse des formalités accessoires.



  1. Les formalités substantielles: signature et contreseing



Lorsqu'un acte doit être signé et contresigné, la jurisprudence considère que l'omission d'une signature ou d'un contreseing entraîne l'annulation de l'acte.

CE Sect., 1976, « COMITE DE DEFENSE DES RIVERAINS DE L’AEROPORT PARIS NORD » → L'AAU concernait un aéroport. Il avait bien été signé par le PM mais on avait oublié de le faire contresigné par le ministre chargé de l'aménagement du territoire. L'acte est annulé pour vice de forme.

Pourquoi une telle sévérité?

  • La signature et le contreseing sont des procédés d'authentification de l'acte. C'est ainsi qu'on est sûr que l'acte émane des bonnes autorités
  • CE, 1952, « Melle MATTEI » → Un acte créateur de droit doit être signé pour en créer.



  1. Les formalités accessoires: les visas



Ce sont les références aux textes en vertu desquels l’AAU est pris. On considère que l’administration peut se dispenser de les mentionner car on dit que c’est une simple information.



  1. La forme écrite de l'acte



Aucune règle, en droit administratif français, ne contraint les AAU à être nécessairement écrits. Il y a deux cas de figure :

  • Les textes qui exigent la forme écrite pour certains AAU comme les délégations de compétence. Dans ce cas, cela devient une formalité substantielle.
  • Les textes n’exigent pas la forme écrite pour certains types d’AAU comme pour les ordres donnés dans la fonction publique.



  1. Le caractère explicite de l'acte



Le caractère explicite d'un acte est une formalité substantielle lorsqu'un texte le prévoit. Autrement, rien n'interdit à l'administration ne prendre des décisions implicites.

Les décisions implicites n'ont pas toujours existé. Avant 1900, il n'y avait que des décisions explicites. Loi 17 juillet 1900 a posé la règle selon laquelle le silence de l'administration pendant 4 mois valait décision de rejet de la demande. Loi saluée par Maurice Auriou comme une grande avancée du droit administratif. L'administré peut attaquer le refus par la voie du REP.

Loi 12 avril 2000: le silence de 2 mois de l'administration vaut rejet.

Rien n'interdit à une loi ou à un règlement de préciser que le silence de l'administration pendant un certain temps vaut acceptation. La loi de 2000 prévoit elle-même cette possibilité.

EX : Art R311-6 Code forestier → le silence de l'administration de 6 mois vaut acceptation de la demande de défrichement d'un administré.



  1. La motivation de l'acte



La motivation est la formulation dans l'AAU de ses motifs. Ce n'est donc pas la même chose que les motifs. Tout acte a des motifs (de fait et de droit) mais n'a pas forcément de motivation (l'acte n'inscrit pas ses motifs en lui même).



  1. Le principe: la non motivation des AAU



Les AAU n'ont pas à être motivés. C'est une règle jurisprudentielle ancienne.

CE, 1964, « DELAHAYE.

CE, 1954, « BAREL » → l'acte dont se plaint M. Barel est un refus d'admettre à concourir. L'acte n'est pas motivé, cela oblige le juge à chercher lui même les motifs. L'acte n'est pas annulé pour défaut de motivation mais pour erreur de droit.

CE, 1973, « GARDE DES SCEAUX C/ LANG » → le requérant avait demandé au CE la création d'un nouveau PGD de motivation des AAU. Le juge refuse.



  1. Les raisons de ce principe



Trois raisons:

  • une motivation obligatoire ralentirait l'administration
  • cela multiplierait les annulations pour vice de forme
  • cela inciterait l'administration à multiplier les décisions implicites

Beaucoup d'auteurs pensent qu'il faudrait renverser le principe : l'administration devrait être obligée de motiver ses AAU.

Cela présenterait trois avantages:

  • avantage pour la démocratie (Art 15 DDHC → la société a le droit de demander des comptes à l'administration).
  • Cela obligerait l'administration à mieux réfléchir aux raisons pour lesquelles elle agit.
  • Cela faciliterait le travail du juge.



  1. L'exception: la motivation des AAU

  1. La jurisprudence « agence maritime Marseille fret »



C’est un arrêt d’assemblée du CE de 1970 qui affirme que doivent être motivés les AAU pris par les organismes professionnels collégiaux de droit privé. On s’est aperçu que ces organismes géraient très mal leurs archives donc à chaque fois qu’il y avait des litiges et qu’on leur demandait leur motivation, ils ne savaient plus pourquoi ils l’avaient pris.



  1. L’exception apportée par le Code général des Collectivités Territoriales



A l’intérieur du Code, on trouve deux articles très intéressants qui prévoient que deux types d’actes doivent être motivés :

- L’article L2121-6 oblige le PR à motiver ses décrets de dissolution d’un Conseil Municipal.

- L’article L2213-2 oblige les maires à motiver certains règlements de police municipale comme ce qui concerne les autorisations de circuler et les interdictions de stationnement.



  1. L’exception apportée par la loi du 11 juillet 1979



Cette loi énumère des AAU individuels qui doivent être motivés. La loi distingue deux catégories d’AAU qui doivent être motivés :

  • Les actes individuels qui dérogent aux actes fixés par la loi ou le règlement. Par exemple, la création d’une pharmacie est soumise à condition.
  • Les actes individuels défavorables à leurs destinataires qui sont énumérés par la loi. La loi en énumère 7 :
    • Les actes individuels qui restreignent les libertés publiques ou qui constituent une mesure de police.
    • Les actes individuels qui infligent une sanction
    • Les actes individuels qui subordonnent l’octroi des autorités à des conditions restrictives ou qui imposent des suggestions
    • Les actes individuels qui retirent ou abrogent une décision créatrice de droit
    • Les actes individuels qui opposent une prescription ou une forclusion
    • Les actes individuels qui refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit
    • Les actes individuels qui refusent une autorisation

Une circulaire a été prise le 28 septembre 1987 pour expliciter en détail quels sont les types d’actes qui obéissent à cela. Malgré cela, il y a aujourd’hui encore beaucoup d’actes individuels qui ne doivent pas être motivés car ils ne rentrent pas dans les rubriques citées ci-dessus comme :

  • la suspension d’un fonctionnaire avec CE, 1986, « EDWIGE » » ;
  • le refus de titulariser un stagiaire avec CE, 1983, « Mlle LORAINE » ;
  • la décision de mettre fin aux fonctions à un emploi à la discrétion du Gouvernement qui sont les très hauts emplois de la fonction publique avec CE Ass., 1989, « MORIN » ;
  • CE, 2009 , « MOUTERLOS » qui est la décision de ne pas renouveler le contrat d’un agent de la fonction publique.

La loi prévoit trois cas dans lesquels l’administration n’est plus obligée de motiver sa décision :

  • Le secret : si la motivation risque de divulguer un secret, il faut dispenser de la motivation.
  • L’urgence absolue : lorsqu’il y a urgence absolue à prendre un AAU, l’administration peut se dispenser de motivation. Lorsque l’administration invoque l’urgence absolue, l’administré peut ensuite demander à l’administration sa motivation, dans le délai du recours contentieux. L’administration a un mois à compter de la réception de la demande pour fournir sa motivation.

CE, 1988, « ABINA » : concerne un terrorisme qui voulait assassiner Rika Zaraï parce qu’elle est israélienne. La police appréhende l’individu. On décide de l’expulser selon une procédure d’urgence absolue. L’administration va invoquer deux fois l’urgence absolue pour se débarrasser de l’individu. L’individu invoque qu’il n’y avait pas urgence absolue au sens de l’ordonnance de 1945 et qu’il n’y en a pas non plus au sens de la loi de 1979 car la motivation ne prenait que quelques secondes. Le CE convient que le danger n’était pas tel qu’on ne pouvait pas prendre quelques secondes pour motiver la décision.

  • Les décisions implicites n’ont pas à être motivées puisqu’on ne peut rien inscrire dans les silences. Pour éviter les abus, on a prévu le même système que pour l’urgence absolue. Dans le délai du recours contentieux, l’administré peut demander la motivation à l’administration qui dispose d’un mois pour fournir cette motivation.

La loi n’est pas mal faite. La loi de 1979 décrit aussi ce que doit être le contenu de la motivation en disant que « la motivation doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constitue le fondement de la décision ». Les considérations de fait sont la description de la situation de fait à laquelle on fait face. La motivation doit être du cas par cas. La loi interdit les motivations stéréotypées. Malgré cette précision, l’administration a tenté de faire des motivations stéréotypées mais le CE a contré cela par CE, 1981, « BELASRI ».

Cette loi a beaucoup de qualités comme l’énumération des actes qui doivent être motivés, elle prévoit trois exceptions et elle interdit les motivations stéréotypées mais au final, selon le prof, c’est une mauvaise loi car il aurait voulu la motivation obligatoire de tous les AAU et qui aurait ensuite posé des exceptions.



§1. Les règles de procédures



Les règles de procédure sont les règles concernant le processus d’élaboration de l’AAU. Ces règles sont souvent dénommées sous le nom « procédure administrative non contentieuse ». Il ne faut pas la confondre avec la procédure administrative contentieuse.



        1. Les délais



Il est fréquent que les textes prévoient un délai durant lequel un AAU doit être pris. D’où la question ces délais sont-ils facultatifs ou obligatoires ? 



  1. Le principe : les délais sont facultatifs



Lorsqu’un texte pose un délai pour prendre un AAU, l’administration est libre de ne pas le respecter. Marcel Waline disait que « les délais sont des dispositions boy scouts ».

CE Ass., 1992, « DIEMERT » concerne le permis à point. Une loi de 1989 créé le permis à point et elle tente d’imposer à l’administration de prendre un décret d’application avant le 1er janvier 1992. L’AAU n’est pris que le 25 juin 1992. On se demande si le dépassement de délai est de nature à rendre le décret illégal. Le décret est tout à fait valable bien qu’il ait dépassé la date fixée.

Il y a un risque d’abus de l’administration s’il n’y a pas de délai car elle pourrait en profiter pour faire traîner de façon excessive l’élaboration de l’AAU. La jurisprudence a compris le danger et elle estime que les AAU doivent être pris par l’administration dans un « délai raisonnable ».

Un délai raisonnable varie en fonction de la difficulté de l’acte à prendre : s’il est difficile, le délai peut courir sur plusieurs années mais si ne présente aucune difficulté particulière, le délai est de quelques jours. L’arrêt de référence est CE, 1962, « KEVERS-PASCALIS » qui concerne l’administration qui abuse de la situation en mettant 12 ans à prendre un AAU. Un arrêt de 2000 concerne encore une fois l’administration qui met 12 ans à prendre un AAU et la solution est la même que dans l’arrêt précédent.



  1. L’exception : les délais sont parfois obligatoires



C’est lorsqu’un texte oblige de façon claire que le délai qu’il fixe soit effectivement respecté. L’art. 38C° donne le pouvoir au Gouvernement, sur autorisation du Parlement, de prendre des règlements dans le domaine de la loi, pendant une certaine durée fixée par le Parlement. Ces règlements sont nommés des ordonnances. Juridiquement, ce sont de simples AAU lorsqu’ils sont pris. Elles se transforment en loi lorsque le Parlement les ratifie à la fin du délai initial prévu pour les prendre. Le CE considère que ce délai est un délai impératif c’est-à-dire qu’une ordonnance qui serait prise hors du délai fixé serait considérée comme illégale parce qu’il a une importance particulière.



        1. Les avis



Ce sont des points de vue rendus par des autorités administratives ou des comités et qui ont pour but d’éclairer l’administration sur l’AAU qu’elle souhaite prendre.



  1. La typologie des avis

  1. Les avis facultatifs



Ce sont des avis que l’administration n’est pas obligée de prendre, ni de suivre. Ce sont les AAU les plus modestes.



  1. Les avis obligatoires



Ce sont des avis que l’administration est obligée de prendre mais pas de suivre. Une contrainte pèse sur l’administration qui a une compétence liée : celle de demander l’avis. Une fois que l’avis est donné, elle n’est pas obligée de le suivre.

Lorsque l’organisme consultatif a rendu son avis, l’administration n’a le choix qu’entre deux choses :

Maintenir le contenu initial de l’AAU qu’elle avait prévu et communiqué à l’organisme.

Modifier le contenu de l’acte initial pour tenir compte de ce que suggère l’organisme consultatif.

Si l’administration veut donner à l’acte un contenu qui n’est ni le contenu initial, ni le contenu suggéré par l’organisme, il faut consulter à nouveau l’organisme sur ce nouveau contenu. Le CE est strict sur cela car si on l’admettait, ce serait une façon habile pour l’administration de pouvoir contourner une consultation honnête de l’organisme.

Le CE est aussi un organisme consultatif donc il est fréquent que les textes prévoient un avis obligatoires du CE. La jurisprudence du CE considère qu’un AAU pris sans son avis ne constitue pas un vice de procédure mais une incompétence.



  1. Les avis conformes



C’est l’avis que l’administration est à la fois obligée de prendre et de suivre. C’est pratiquement une situation de compétence liée. Il arrive parfois que l’organisme consultatif rende un avis défavorable illégal. Dans ce cas, le CE admet que l’administratif puisse passer outre l’avis = CE, 2001, « EISENCHTETR ».



  1. Les modalités de fonctionnement des organismes consultatifs



Il y a beaucoup de contentieux sur le fonctionnement de ces organismes. Les problèmes évoqués ici sont résolus à la fois par la jurisprudence du CE et par un décret du 8 juin 2006.



  1. L’erreur dans la composition de l’organisme



Il arrive que siège dans l’organisme consultatif une ou plusieurs personnes qui n’auraient pas dû y siéger. Il n’y a pas forcément vice de procédure. La jurisprudence et le décret estiment qu’il n’y a vice de procédure que si ces personnes ont exercé « une influence déterminante sur le contenu de l’avis ». L’arrêt de référence est celui CE. Ass., 1969, « MEUNIE » et le décret de 2006 reprennent cette solution. Si une personne siège par erreur dans un organisme et l’avis est rendu à une voix de majorité, l’avis va être annulé.



  1. Le manque d’impartialité



L’organisme est bien composé mais l’un de ses membres a manqué d’impartialité. Dans un cas comme cela, la jurisprudence et le décret estiment que le manque d’impartialité d’un seul membre de l’organisme provoque un vice de procédure. L’AAU est annulé pour vice de procédure. CE, 1966, « COMMUNE DE CLOHARS-CARNOËT » est l’arrêt de référence qui concerne la misogynie. Le décret de 2006 a repris la même sévérité.



  1. Le problème du quorum



Quel est le nombre de membres qui doivent être présents pour que l’avis de l’organisme soit valable ? La jurisprudence du CE estime que le quorum est la majorité avec l’arrêt « MEUNIE », 1969. Le décret de 2006 a adouci cette règle et il dit que le quorum est la moitié des membres. Les deux règles n’ont pas tout à fait la même portée car la jurisprudence à une portée nationale tandis que le décret de 2006 ne concerne que les organismes consultatifs de l’Etat et uniquement pour les avis concernant les administrés mais par pour les fonctionnaires.



        1. La procédure contradictoire



C’est la possibilité pour l’administré de faire valoir son point de vue avant que l’AAU le concernant ne soit pris.



  1. Le champ d’application du principe



C’est une procédure qui s’applique dans 5 grandes hypothèses.



  1. Les déclarations d’utilité publique



C’est la première phase de l’expropriation. La DUP doit obligatoirement être précédée d’une enquête publique qui est une procédure contradictoire. Cela permet à toute personne concernée par la future expropriation de donner son avis en rencontrant le commissaire enquêteur.



  1. Les sanctions



La règle jurisprudentielle est que toute sanction doit être précédée d’une procédure contradictoire. Une sanction, en droit administratif, est un AAU qui a pour but de réprimer une faute comme la révocation d’un fonctionnaire. CE, 1944, « VEUVE TROMPIER-GRAVIER » (PGD des droits de la défense) et CE, 1945, « ARAMU » concernent les sanctions.



  1. Les mesures prises en considération de la personne



C’est un AAU défavorable à son destinataire mais dont le but n’est pas de sanctionner une faute mais de tirer les conséquences du comportement ou des aptitudes de l’intéressé. Ce ne sont pas des sanctions car on ne reproche pas de faute à la personne. C’est une catégorie jurisprudentielle créé par CE Sect., 1949, « NEGRE ». Dans cette affaire, le directeur de l’agence France presse, M. Nègre, est licencié par le Gouvernement qui était libre à cette époque de choisir qui il voulait pour ce poste. Il n’avait pas commis de faute mais il avait perdu la confiance du Gouvernement. M. Nègre a le droit au respect de la procédure contradictoire.

Par la suite, la jurisprudence a confirmé de nombreuses fois cette catégorie ce qui est souvent fait pour les licenciements pour insuffisance professionnelle.

Il y a un arrêt de 2009 qui est relatif à une mesure qui ressemble beaucoup à une mesure prise en considération de la personne. C’est CE, « MOUTERLOOS », 2009 qui concerne une décision de ne pas renouveler le contrat d’un agent de l’administration. Le CE considère que cet acte n’en pas une car l’agent n’a aucun droit à renouvellement donc il en déduit qu’il n’a pas le droit à la procédure contradictoire.



  1. Les mesures visées par l’article 24 de la loi du 12 avril 2000



Il s’agit de tous les actes individuels défavorables qui sont énumérés par la loi de 1979 relative à la motivation. La loi de 2000 ajoute que ces mêmes actes doivent être précédés d’une procédure contradictoire. Il y a des conditions :

  • Il faut que ces actes concernent des administrés et pas des agents de l’administration.
  • Cela ne concerne que les actes qui ne sont pas pris sur demande d’un administré.

EX : la dissolution d’une association = il existe une loi de 1936 qui permet au Gouvernement de dissoudre lui-même les associations dangereuses. Il arrive des fois que le Gouvernement utilise cette loi. Avant le texte, les dissolutions d’associations n’avaient pas à être précédées d’une procédure contradictoire ce qui n’est plus le cas depuis la loi de 2000. La loi de 2000 a remplacé un décret de 1983. Il y a eu deux arrêts :

  • CE, 1970, « ALAIN KRIVINE » qui est un des chefs du NPA. Il était un des meneurs de mai 1968. Il était le dirigeant d’une association qui cherchait à prendre le pouvoir par la force. Son association était dangereuse. Il attaque la dissolution devant le CE. Le CE estime que la dissolution est légale bien qu’elle n’ait pas été précédée d’une procédure contradictoire.
  • CE, 1987, « FANE » concerne une association d’extrême droite dangereuse pour la stabilité du régime. Elle est dissoute par le Gouvernement mais il y a annulation du décret de dissolution car le Gouvernement a oublié de respecter la procédure contradictoire devenue obligatoire depuis 1983.



  1. Les actes dont l’édiction est susceptible d’être éclairée par la procédure contradictoire



Depuis 2001, le CE estime que cette catégorie d’acte doit être précédée de la procédure contradictoire depuis CE, 2001 « FERME DE RUMONT ». En droit français, il y a des quotas de lait fixés aux agriculteurs. Lorsqu’un agriculteur dépasse son quota, il est victime d’une mesure de rétorsion qui ne s’analyse pas juridiquement comme une sanction. Ici, la société a été victime d’une telle mesure de rétorsion qui lui retire de l’argent. Elle se plaint d’une absence de procédure contradictoire. La mesure a des conséquences non négligeables sur l’agriculteur donc il serait normal qu’il puisse s’expliquer. Le CE va estimer que cette mesure de rétorsion est un acte dont l’édiction est susceptible d’être éclairée par la procédure contradictoire. Le CE estime que la mesure de rétorsion est illégale, en l’espèce donc il y a annulation de l’acte. Il y a une réflexion du CE pour élargir le champ de la procédure contradictoire.



  1. Les modalités d’application

  1. L’obligation d’informer l’administré ou l’agent concerné de l’acte projeté



Il faut toujours informer les personnes grâce à comme par un dossier dans le cas de la DUP ou en matière de sanction par la communication de son dossier à la personne.



  1. Le droit de l’administré ou de l’agent concerné de présenter ses observations



Il a été informé donc il peut se défendre. Par exemple, dans le cadre de l’enquête préalable à la DUP, on peut soit directement aller dire ses observations à l’enquêteur, soit les écrire. En matière de sanction, il faut distinguer :

  • Il a le droit de présenter ses observations devant une commission
  • Il les présente par écrit



D) Le principe de parallélisme des procédures

  1. Le principe



Dans le silence des textes, l’abrogation ou la modification d’un AAU doit être faite selon les mêmes procédures que celles qui avaient présidées à son édiction. CE Sect., 1967, « FEDERATION NATIONALE DES SYNDICATS DE PHARMACIENS » concerne un acte par lequel le ministre de la santé modifie une liste de substance vénéneuse sans avoir consulter l’académie de pharmacie. Le CE dit qu’il aurait fallu le faire parce que pour édicter la liste des substances, la consultation de l’académie de pharmacie avait été prise. Il y a une rupture de parallélisme. La décision modifiant la liste est annulée pour méconnaissance de parallélisme des procédures.



  1. Les exceptions

  1. L’hypothèse de l’utilisation d’une procédure facultative pour l’édiction de l’acte



Lorsque l’administration a suivi, lors de l’édiction de l’acte, une procédure qui ne s’imposait pas, elle n’est pas obligée de la suivre à nouveau au moment de la modification ou de l’abrogation de cet acte. CE, 1967 vu précédemment concernait également le problème qu’au stade de l’élaboration de la liste des substances, il y avait eu consultation de l’académie de médecine alors que son intervention n’était pas prévue par les textes. Le CE estime que le ministre n’est pas tenu de consulter à nouveau cette académie de médecine au stade de la modification. Il n’y a pas de vice de procédure.



  1. L’hypothèse d’une procédure utile pour l’édiction de l’acte et qui ne l’est plus pour son abrogation ou sa modification



C’est un cas de figure qui est venu dans CE, 1968, « SOCIETE DU LOTISSEMENT DE LA PLAGE DE PAMPELONNE ». On s’est demandé si l’abrogation d’un permis de construire doit suivre la même procédure que celle qui avait été suivie pour sa délivrance. Dans cette affaire, il y avait eu une enquête publique. Le CE dit que le principe de parallélisme des procédures ne joue pas car l’enquête publique est faite pour protéger l’environnement contre une construction donc elle est utile au stade de la délivrance du permis de construire mais elle est inutile au stade l’abrogation du permis de construire puisque cela permet la protection de l’environnement car la construction n’aura pas lieu. L’abrogation du permis de construire est légale.



Sous section 3. L’application des AAU

§1. Les effets sur l’ordonnancement juridique

        1. Le point de départ des effets de l’acte



A partir de quand l’acte produit-il des effets juridiques ? Il faut faire une distinction entre entrée en vigueur et publicité. L’entrée en vigueur est le fait de commencer à produire des effets juridiques. La publicité d’un acte est l’information officielle de l’existence de l’acte.



  1. Le principe : l’entrée en vigueur et publicité coïncident



Un AAU entre en vigueur à compter de sa publicité. CE, 1952, « DAME LEFRANC » concerne la révocation d’un fonctionnaire et on se demande à partir de quand elle prenait effet. On considère que c’est à partir de la révocation.



  1. 1ère dérogation : l’entrée en vigueur est parfois retardée par rapport à la publicité



La loi de décentralisation du 2 mars 1982 dispose que les actes des collectivités territoriales les plus importants entrent en vigueur après leurs publicités et leurs transmissions aux représentants de l’Etat. 

L’ordonnance du 20 février 2004 concerne uniquement les décrets publiés au Journal Officiel. L’ordonnance dit qu’ils entrent en vigueur à la date qu’ils fixent. En réalité, cela signifie qu’ils entrent en vigueur après leur publicité. Si aucune date n’est fixée par le décret, l’acte entre en vigueur le lendemain de la publication.



  1. 2ème dérogation : l’entrée en vigueur est parfois anticipée par rapport à sa publicité



Cela est prévu par CE Section, 1952, « Mlle MATTEI » qui affirme qu’un acte individuel créateur de droit créé des droits dès sa signature. Cela signifie que l’acte entre en vigueur et créé des effets avant sa publicité.



        1. La consistance des effets de l’acte

  1. Présentation générale des effets de l’acte



Un AAU peut produire deux types d’effets :

  • La modification de l’ordonnancement juridique ce qui signifie que l’acte va créer des droits en faveur de ses destinataires ou des obligations à la charge de ses destinataires.
  • Le statut quo c’est-à-dire la non modification de l’ordonnancement juridique.

Lorsqu’un acte produit des effets au profit des administrés, on dit que cet acte est invocable par cet administré. Lorsqu’à l’inverse, l’acte créé des obligations à la charge d’un administré, on dit que cet acte est opposable à l’administré.

L’expression « privilège du préalable » sert à désigner la force obligatoire des effets d’un AAU. Cela désigne le fait que les administrés doivent respecter l’acte. Ils doivent lui obéir. Cette puissance s’exerce sans qu’il soit nécessaire qu’un juge intervienne. Schwartzenberg a écrit une thèse en 1969 intitulée « l’autorité provisoire de chose décidée » qui désigne la force obligatoire de l’AAU.

« Tu patere legem quam fecisti » signifie « tu dois respecter la loi que tu as faite » ce qui exprime que l’administration elle-même est obligée de respecter ses propres AAU temps qu’elle ne les as pas abrogés.



  1. La notion de décision exécutoire



C’est une expression qu’on trouve souvent dans la jurisprudence et dans les manuels mais selon le prof, il faut cesser de l’utiliser car elle est incohérente et a trois sens différents. Le professeur Delvolvé a apporté la démonstration de cela dans un livre de 1983. Ces trois sens sont contradictoires entre eux.



  1. Première signification : celle donnée par la jurisprudence « Amoros »



C’est CE Ass., 1970. Cet arrêt dit qu’il y a deux catégories d’AAU :

  • Ceux qui modifient l’ordonnancement juridique
  • Ceux qui ne le modifient pas

Cet arrêt estime que seule la première catégorie mérite d’être qualifiée de décision exécutoire. Selon cet arrêt, la décision exécutoire est l’AAU qui modifie l’ordonnancement juridique. À l’époque, cela était très clair. Le problème, c’est qu’une deuxième signification est donnée.



  1. Deuxième signification : celle de la jurisprudence « Huglo »



C’est CE Ass., 1982. Cet arrêt dit que tout AAU est une décision exécutoire. Cela donne naissance à toute une jurisprudence qui va dans le même sens mais la jurisprudence « ARAMOS » continue à être appliquée. Il y a donc deux sens qui coexistent. L’idée est que ce qu’il appelle « décision exécutoire » désigne le caractère obligatoire qu’a tout AAU.



  1. Troisième signification : celle de la loi de décentralisation du 02 mars 1982



Le législateur utilise l’expression en lui donnant une autre signification. La loi dit que les actes des collectivités territoriales sont exécutoires de plein droit dès qu’il a été procédé à leur publicité et pour les plus importants, à leur transmission au représentant de l’Etat. Cela désigne l’entrée en vigueur de l’AAU.



  1. La non rétroactivité de l’AAU
    1. Le principe



La jurisprudence est catégorique : un AAU ne doit pas avoir d’effet rétroactif pour des questions de sécurité juridique. CE, 1948, « SOCIETE DU JOURNAL L’AURORE ». CE  Ass., 1984, « UNION DES GROUPEMENTS DE CADRES SUPERIEURS DE LA FONCTION PUBLIQUE » concerne un règlement qui avait décidé de geler les traitements des hauts fonctionnaires. Il est publié fin juillet 1983 et il décide de s’appliquer non pas seulement à compter de sa publication mais aussi pour toute l’année 1983. Le CE estime que le règlement est légal pour ses effets à partir de sa publication mais en revanche, il est illégal pour les effets qu’il prétend produire avant sa publication car cela est contraire au PGD de non rétroactivité des AAU dégagé par l’arrêt « SOCIETE DU JOURNAL L’AURORE ».

La non rétroactivité ne doit pas être confondue avec l’entrée en vigueur immédiate de l’acte. Un AAU a parfaitement le droit de s’appliquer immédiatement aux situations non contractuelles en cours. CE Section, 1975, « COMMUNE DE BORDERES » concerne un individu qui demande un permis de construire puis la réglementation du permis de construire devient plus sévère. L’administration applique la législation en vigueur au moment du traitement de la demande donc la plus sévère. Il n’y a pas violation du PGD de non rétroactivité.

Les actes règlementaires doivent respecter, grâce à des mesures transitoires qu’ils doivent prévoir, les situations contractuelles en cours. C’est l’œuvre de CE Ass., 2006, « SOCIETE KPMG ».



    1. Les exceptions
      1. Une loi peut prévoir la rétroactivité d’un AAU



Le Conseil Constitutionnel a confirmé cela dans une CC°, 1969, « FRAIS DE SCOLARITE A L’ECOLE POLYTECHNIQUE ».



      1. La décision de retrait



Une décision de retrait peut être rétroactive. Les arrêts « Dame Cachet » de 1921 et « Ternon » de 2001 affirment cela.



      1. Les AAU tirant les conséquences nécessaires d’une annulation pour excès de pouvoir



CE, 1925, « RODIERES » concerne cela. L’administration peut prendre des AAU rétroactifs pour tirer les conséquences nécessaires d'un jugement d'annulation. En l'espèce, le juge annule un tableau d'avancement de fonctionnaire qui date de 1921. En conséquence de ce jugement, l'administration va être obligée de prendre rétroactivement les tableaux édictés depuis. Le juge lui demande donc de prendre des AAU rétroactifs.



      1. L’acte d’approbation



C’est par nature, un acte rétroactif. Dans l’hypothèse d’une tutelle, lorsqu’un acte d’approbation est pris, il rétroagit à la date de l’acte qu’il approuve.



      1. La rétroactivité d’un acte est légale lorsqu’elle a pour but de combler un vide juridique préjudiciable à l’intérêt général



CE, 1979, « ASSOCIATION DES PROFESSEURS AGREGES DES DISCIPLINES ARTISTIQUES » concerne l’agrégation des arts qui venait d’être créé donc on recrute des professeurs qui sont nommés dans des lycées. Le texte les concernant a oublié de dire combien d’heures de cours ils devaient faire. Dans l’urgence, un nouveau règlement va être pris et il fixe le nombre d’heures de cours. Il rétroagit à la date de la rentrée scolaire. Le CE dit que cette rétroactivité est légale.



  1. L’accès aux documents administratifs



Le texte de base est une loi du 17 juillet 1978 sur l’accès aux documents administratifs. Elle a été modifiée en 2000 et en 2005. Avant 1978, les administrés n’avaient pas de droit d’accès aux documents administratifs. C’était le principe napoléonien de l’administration secrète. Depuis 1978, la loi consacre un véritable droit d’accès aux documents administratifs. C’est le principe de transparence de l’administration.



    1. Le droit d’accès aux documents administratifs
      1. La distinction entre documents nominatifs ou non nominatifs



Le régime juridique : les documents nominatifs sont communicables uniquement aux personnes qu’ils concernent. Les documents non nominatifs sont communicables à toute personne qui le demande. Un document nominatif peut être deux choses, selon la loi :

  • Le document qui porte une appréciation de valeur sur une personne physique
  • Un document qui inclu un renseignement susceptible de porter un préjudice à une personne physique

Un document qui comporte des noms de personnes mais qui ne comporte ni appréciation de valeur ou de renseignements susceptibles de leur porter préjudice, n’est pas des documents nominatifs au sens de la loi.

Il y a des documents mixtes c’est-à-dire qui sont pour partie nominatif et pour partie non nominatif. Une ordonnance de 2005 dit que l’administration doit les rendre accessible à toute personne qui le demande après avoir occulté toute la partie nominative.



      1. La notion de documents administratifs



La loi de 1978 dispose que ne sont accessibles que les documents administratifs. La loi répond que ce qu’il faut entendre par documents administratifs, ce sont deux catégories de documents :

  • Les documents établis par l’administration ou par une personne privée gérant un service public, en dehors du champ d’application du droit privé. Cela englobe tous les rapports, les études, les procès verbaux, les statistiques. En revanche, des documents qui relèveraient du droit privé ne sont pas considérés comme administratifs, bien qu’ils soient établis par l’administration. L’exemple typique est le contrat de droit privé de l’administration qui est un contrat écrit qui est exclu expressément par la loi des documents accessibles.
  • Les documents d’origine privée élaborés pour être traités par l’administration. Il s’agit de toutes les pièces versées par un administré, à l’appui d’une demande adressée à l’administration. Ils ont été constitués pour être destinés à l’administration. La jurisprudence a estimé que les consultations juridiques commandées par l’administration sont des documents administratifs de cette deuxième catégorie : CE Ass., 2005, « DEPARTEMENT ESSONNE ».

La jurisprudence a donné des exemples de ce qui ne constitue pas des documents administratifs :

  • Des pièces constituées par une personne privée pour elle-même et dont l’administration a connaissance par hasard car ils n’ont pas été élaborés par l’administration et ils n’étaient pas destinés à l’administration.
  • De simples photocopies de ces pièces ne sont pas communicables non plus.

On pourrait dire que la première catégorie est celle des documents administratifs par nature alors que dans la deuxième catégorie est celle des documents administratifs par destination.



      1. Les exceptions



La loi précise que certains documents ne sont pas communicables bien qu’ils soient administratifs. Il y a une liste dans la loi :

  • Les documents inachevés
  • Les documents préparatoires comme un rapport d’audit qui préparait la réorganisation de la banque de France
  • Les documents publiés
  • Les documents dont la communication révèlerait un secret protégé par la loi
  • Les avis du Conseil d’Etat



      1. Conciliation entre la loi de 1978 et les régimes particuliers d’accès institués par d’autres lois.



La situation est très complexe car il y a beaucoup d’autres lois que celle de 1978, qui ont créé leur propre mécanisme d’accès aux documents administratifs.

Lorsqu’il y a un autre régime d’accès institué par une autre loi, comment fait-on ? Il y a un principe qui est que le régime particulier écarte le régime d’application de la loi de 1978.

EX : la loi du 22 janvier 2002 concernant les enfants adoptés, leur donne la possibilité de connaître leurs parents biologiques. La loi de 2002 écarte la loi de 1978 car la CADA n’intervient pas. Il est gênant que la loi de 1978 soit écartée tout le temps.

Il y a de plus en plus d’exceptions au principe. Il y a un mouvement récent qui tend à imposer l’application de la loi de 1978 à ces systèmes d’accès conçus comme particuliers. On prévoit que la CADA va garantir l’accès à ces régimes particuliers institués par d’autres lois.

EX : l’accès aux documents municipaux est garanti par la CADA tout comme l’accès aux archives publiques. Ce régime d’accès est codifié à l’article L213-1 du Code du patrimoine. L’accès aux fichiers informatiques a fait l’objet d’une loi du 6 janvier 1978 qui avait créé son propre organe garantissant l’accès aux fichiers informatiques qui est la CNIL (commission nationale informatique et libertés). Malgré tout, une modification législative a permis à la CADA d’intervenir en matière de fichiers informatiques. L’accès aux dossiers médicaux détenus par les hôpitaux, depuis une loi du 4 mars 2002 sur les droits des patients, est autorisé. Cela a été codifié à l’article 1112-1 du Code de la santé publique. C’est un régime particulier d’accès mais la CADA peut intervenir. L’accès aux documents administratifs relatifs à des problèmes d’environnement est prévu par l’ordonnance du 6 juin 2005. L’accès aux documents relatifs à la sûreté nucléaire existe depuis la loi du 13 juin 2006.



    1. La CADA



Cela signifie Commission d’Accès aux Documents Administratifs. La loi de 1978 a créé un droit d’accès mais pour le garantir, elle a créé une Autorité Administrative Indépendante qui est la CADA. La composition actuellement est la suivante : 11 membres dont 3 magistrats, 2 parlementaires, 1 élu local, 1 professeur d’université et 4 hauts fonctionnaires. La création la plus récente est le professeur d’université, en 2005. La CADA a deux pouvoirs.



      1. Un pouvoir d’influence



Il existe depuis 1978. Il ne s’agit pas d’un pouvoir décisionnel. Au départ de l’intervention de la CADA, il y a forcément un administré qui s’estime victime d’un refus d’accès à un document administratif. Cet administré peut saisir la CADA dans les deux mois du refus. La jurisprudence est formelle : si la victime du refus tente de faire un REP directement sans avoir saisi préalablement la CADA, ce REP sera irrecevable : CE Sect., 1982, « DAME COMMARET ».

La CADA a un délai d’un mois pour enquêter et donner son avis. L’administration qui reçoit l’avis de la CADA a un délai de deux mois à compter de la réception, pour se prononcer à nouveau sur l’accès au document litigieux. Il y a trois possibilités :

  • L’acceptation : c’est le cas le plus fréquent.
  • L’administration refuse expressément l’accès au document : dans ce cas, l’administré doit attaquer ce deuxième refus par un REP dans un délai de deux mois à compter de la notification du refus.
  • Le refus implicite de l’administration : l’administration ne dit rien dans le délai de deux mois dont elle disposait pour rendre sa décision. Dans ce cas, la loi précise que l’administré peut exercer un REP contre ce refus implicite, sans condition de délai.



      1. Un pouvoir de sanction



Il n’existe que depuis 2005. C’est un pouvoir décisionnel. La décision de 2005 a permis à la CADA d’infliger des amendes aux personnes qui « réutilisent illégalement des informations publiques ».



§2. L’exécution de l’acte administratif unilatéral



Il s’agit de se demander ce que peut faire l’administration pour exécuter son acte lorsqu’un administré résiste.

Il faut écarter l’action civile qui est la possibilité pour l’administration de demander au juge judiciaire un jugement d’exécution de l’AAU. Il est courant qu’un particulier qui ne parvient pas à faire exécuter un de ses droits, saisisse le juge judiciaire pour faire exécuter ce droit. La solution a été rappelée par CE Ass., 1994, « Société TAPIS SAINT MACLOU ». Cet arrêt confirme la jurisprudence traditionnelle et dit que l’administration ne peut pas recourir à l’action civile, sauf si une loi prévoit le contraire. L’action civile n’est pas possible parce que l’administration, contrairement au simple administré, à d’autres possibilités pour faire exécuter son acte. 

Il y a quand même des cas très rares où aucune de ces trois possibilités n’existe. C’est possible parce l’action pénale et les sanctions administratives ne sont possibles que si une loi les prévoit et l’exécution forcée est soumise à certaines conditions. Dans ces cas, l’action civile n’est pas possible parce que même dans ces hypothèses, il y a une dernière possibilité qui s’offre à l’administration : c’est une sorte d’action administrative c’est-à-dire la possibilité de saisir le juge administratif pour obtenir de lui un jugement d’exécution de l’AAU.

CE Sect., 1961, « Cie FERMIERE DU CASINO DE CONSTANTINE » concerne une action administrative admise car que l’administration se plaignait d’un casino qui empiétait sur le domaine public. Rien d’autre n’était possible.



        1. L’action pénale



C’est la possibilité ouverte à l’administration de demander au juge pénal d’infliger une sanction pénale à l’administré récalcitrant. Ce n’est possible que si une loi le prévoit ou un décret d’application. En aucun cas, l’administration ne peut infliger elle-même la sanction pénale qui est forcément infligée par le juge pénal.

L’article R610-5 du Code pénal permet à l’administration de poursuivre pénalement, devant les tribunaux de police, les administrés qui ont violés « les obligations édictées par les décrets et arrêtés de police ». Le montant maximum de l’amende est de 38 euros.

L’article L624-1 du CESEDA permet à l’administration de poursuivre pénalement devant les tribunaux correctionnels, les étrangers qui se sont soustraits à un arrêté d’expulsion. La sanction peut être une peine de prison.



        1. Les sanctions administratives



Ce sont des sanctions infligées par l’administration elle-même pour contraindre un administré à lui obéir. Il n’y a plus d’intervention d’un juge. On l’appelle la sanction administrative. La sanction administrative est beaucoup plus dangereuse que la sanction pénale. Les sanctions administratives ont été créées par le régime de Vichy.

Ces sanctions sont-elles conformes à la Constitution ? La Constitution française ne parle pas du tout de ces sanctions. Le Conseil Constitutionnel a affirmé en 1989 que ces sanctions sont conformes depuis le 28 juillet 1989, « COB ». Le Conseil Constitutionnel subordonne leur légalité au respect de quatre conditions :

  • Elles doivent être prévues par une loi parce qu’une sanction administrative porte forcément atteinte à une liberté publique donc cela relève de l’article 34C° et par conséquent, du domaine de la loi. Toutes les sanctions administratives actuelles sont créées sur la base de loi comme les amendes infligées par l’autorité de la concurrence (ordonnance législative du 1er décembre 1986) ; le CSA qui a le pouvoir d’infliger des sanctions (amendes, suspension d’autorisation d’émettre voire abrogation de ces autorisations) aux gestionnaires de radio ou de chaînes de télévision qui ne respectent pas ses prescriptions (loi du 27 janvier 1989) ; la loi du 26 février 1992 d’application des accords de Schengen prévoit que l’administration française (ministre de l’Intérieur) peut infliger des amendes aux entreprises de transport qui amènent en France des étrangers en situation irrégulière. Le montant de l’amende est de 5000 euros par étranger.
  • Les sanctions ne doivent pas constituer des privations de liberté parce que le Conseil Constitutionnel rappelle que d’après l’article 66 de la Constitution, seul le juge judiciaire peut infliger des peines de prison.
  • Les sanctions administratives doivent respecter l’article 8 de la Déclaration de 1789 disant « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Le Conseil Constitutionnel en a déduit certaines exigences : la légalité des incriminations et des peines, le principe de proportionnalité des sanctions par rapport aux infractions, la non rétroactivité de la loi d’incrimination plus sévère et le respect des droits de la défense.
  • Les sanctions administratives doivent pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel approfondi. C’est une exigence aussi bien du Conseil Constitutionnel que de la CEDH qui s’appuie sur l’article 6 de la Convention Européenne de 1950 concernant le droit à un procès équitable. La CEDH déduit de ce droit à un procès équitable, le droit pour tout administré frappé de sanction administrative, le droit d’attaquer celle-ci devant un juge. CEDH, 1984, « öztürk contre Allemagne » dit qu’elles peuvent faire l’objet d’une attaque devant un juge qui peut être administratif ou judiciaire. En droit français, les textes choisissent tantôt l’un, tantôt l’autre. L’ordonnance de 1986 sur l’autorité de la concurrence prévoit que ses sanctions peuvent être attaquées devant la Cap. de Paris. Lorsque les textes choisissent le juge administratif, ils peuvent choisir le recours de plein contentieux ou le REP. Par exemple, la loi de 1989 sur le CSA a prévu qu’on peut attaquer ses sanctions devant le CE en utilisant un recours de plein contentieux comme la loi de 1992 sur les accords de Schengen. Le recours de plein contentieux permet de moduler la gravité de la sanction. Le REP est choisi en matière de sanctions professionnelles qui sont des sanctions infligées par les ordres professionnels ou les autorités sportives. CE Sect., 2007, « ARFI » exerce un contrôle normal. Dans certains cas, le REP dirigé contre des sanctions administratives n’aboutit qu’à un contrôle minimum comme celui dirigé contre la sanction consistant pour un préfet, à fermer un débit de boissons. Le débitant peut attaquer la fermeture par la voir du REP mais le contrôle est minimum comme le dit CAA Lyon, 2007, « société Dinecitta ».

Le CE vient de tenter de trouver une solution par CE,2009,« société Atom ». Cet arrêt pose en nouveau principe que seul un recours de plein contentieux peut désormais être formé contre une sanction administrative, lorsque le juge administratif est compétent pour la juger. Ce principe élimine toutes les vieilles jurisprudences qui posaient problème. Il y a deux exceptions c’est-à-dire que le REP reste possible contre deux catégories de sanctions administratives :

  • Les sanctions professionnelles
  • Les sanctions disciplinaires dans la fonction publique



  1. L’exécution forcée



C’est le recours à la force par l’administration pour surmonter la résistance d’un administré et obtenir ainsi l’exécution d’un AAU. C’est une théorie jurisprudentielle avec TC, 1902, « société immobilière de Saint Juste ». Le commissaire du Gouvernement Romieu qui a inventé la théorie dans ses conclusions sur l’arrêt. Il a proposé que l’exécution forcée ne soit possible que dans trois hypothèses :

  • Lorsqu’une loi l’autorise : il estime qu’il y a un principe de souveraineté du législateur. Par exemple, la loi du 4 décembre 1985 codifiée dans le Code forestier à l’article L322-4 prévoit que le maire peut exécuter d’office des travaux de débroussaillage dans les propriétés privées. Cela sert à lutter contre les incendies. Cela n’est possible qu’après une mise en demeure. L’article L325-1 du Code de la route concernant la mise en fourrière des véhicules est une hypothèse d’exécution forcée. L’article L571-17 du Code de l’environnement donne à l’administration le pouvoir de prendre « toutes mesures pour faire cesser un bruit gênant ».
  • Lorsqu’il y a urgence : Romieu utilise l’expression « lorsqu’il y a le feu à la maison, on ne va pas demander au juge l’autorisation d’y envoyer les pompiers ». CE, 1932, « Revel Chiraux » concerne des gens qui entreposent des objets sur la voie publique et l’administration ordonne le retrait de ces objets. Si l’administré résiste, il y a exécution forcée.
  • Lorsqu’il n’y a pas d’autres voies de droit pour obtenir l’exécution de l’AAU : Romieu explique que c’est la seule possibilité qui reste pour obtenir l’exécution de l’acte. Romieu dit « force doit rester à la loi ». L’arrêt « société de Saint Juste » concerne l’application de la loi du 1er juillet 1901 qui a ordonné la fermeture des congrégations religieuses. La loi n’avait pas prévu que des sœurs résisteraient. Romieu a dit que la seule solution était l’exécution forcée. L’administration a pu valablement pénétrer dans les bâtiments et mettre les sœurs sur le trottoir.

A chaque fois que l’administration a recours à l’exécution forcée, en dehors de ces cas là, elle commet une illégalité. La jurisprudence est très sévère car en règle générale, la jurisprudence assimile l’exécution forcée illégale à une voie de fait. TC, 1935, « action française » est l’arrêt de base. Cela concernait une saisie d’un journal


Deuxième partie : Le contrôle de l’action administrative

Titre 1 : La responsabilité de l’administration



Il y a cinq avertissements :

  • Nous n’allons parler que de la responsabilité délictuelle car la responsabilité contractuelle a déjà été vue dans le contrat administratif
  • La responsabilité extracontractuelle de l’administration est une responsabilité spéciale c’est-à-dire qu’elle n’est pas régi par le droit civil mais par des règles spéciales ce qui a été posé par TC, 1873, « Blanco ». Les règles spéciales peuvent être des règles jurisprudentielles mais aussi des règles législatives. Par exemple, la loi du 9 janvier 1986 sur les attroupements retient une responsabilité de droit administratif de l’administration en cas de dommages causés par des attroupements sur la voie publique.
  • La responsabilité administrative n’est pas seulement applicable aux personnes publiques : elle est également applicable aux personnes privées gérant un service public lorsqu’elles ont causé un dommage provoqué un dommage causé par l’exercice d’une prérogative de puissance publique. C’est une transposition de l’arrêt de 1961 « Magnier ». L’arrêt qui a opéré cette transposition est CE, 1983, « société anonyme bureau Véritas ».
  • Les personnes publiques encourent parfois une responsabilité privée et non pas la responsabilité administrative. C’est possible dans l’hypothèse où la personne publique a causé un dommage dans le cadre d’une activité de gestion privée comme une activité de SPIC. Il y a des cas où le législateur décide que dans tel et tel cas, la responsabilité de l’administration va être une responsabilité civile. La loi du 31 décembre 1957 sur les accidents de véhicules est une loi qui a voulu simplifier le contentieux des accidents de la route et qui décide que tous les contentieux relèvent du juge judiciaire et même si le véhicule appartenait à l’administration. 
  • Parfois, les personnes publiques sont soumises à une responsabilité administrative mais relèvent pourtant, en cas de litige, de la compétence du juge judiciaire. Il y a une responsabilité de droit publique mais qui est mise en œuvre par le juge judiciaire, en cas de litige. Cela arrive dans deux cas de figure :
      • Quand la jurisprudence le prévoit comme celle de la CCass., 1956, « Giry » qui dit que les dommages causés par le service public judiciaire relèvent du droit administratif mais du juge judiciaire.
      • Quand un texte le prévoit comme la loi du 17 juillet 1970 sur la responsabilité de l’Etat en cas de détention provisoire injustifiée. Cette loi prévoit qu’on applique des droits administratifs mais c’est une juridiction judiciaire qui va être compétente pour connaître de ce contentieux.



Chapitre 1. L’étendue de la responsabilité de l’administration

Section 1. Le préjudice indemnisable

§1. La théorie de la causalité adéquate

  1. Le principe



Le droit administratif applique la théorie de la causalité adéquate. Cela veut dire que pour être indemnisable, un préjudice ne doit pas seulement être certain, il doit aussi résulter de façon suffisamment directe d’un fait dommageable imputable à l’administration.

Un préjudice certain est un préjudice avéré c’est-à-dire pas seulement éventuel. Néanmoins, le droit administratif a fait preuve d’un certain assouplissement c’est-à-dire qu’il accepte d’assimiler la perte d’une chance sérieuse à un préjudice certain. L’arrêt de référence est celui de CE Sect., 2000, « consorts Telle ». La perte de chance est celle de se soustraire au risque d’un acte médical. Lorsque l’administration oublie d’informer le patient des risques encourus et que cela se réalise, la victime peut invoquer la perte d’une chance de se soustraire à l’acte.

CE, 2006, « Mme Hudelot » concerne une femme qui avait un litige devant le CE et elle fait appel à un avocat au CE. L’avocat oublie d’invoquer un argument qui aurait permis à sa cliente de gagner son affaire. La femme demande une indemnisation en raison de la perte de chance sérieuse d’obtenir satisfaction. Cela a marché.

CE, 1985, « Dame Henri » et CE Sect., 1987, « banque populaire de la région de Strasbourg » concernent des permissions de sortie accordées par l’administration à des détenus qui en profitent pour commettre des infractions. Les victimes attaquent l’Etat en responsabilité. Y a-t-il un lien de cause à effet suffisamment direct entre la permission de sortie et l’agression ? Dans le premier cas, la réponse est NON et dans le deuxième cas, OUI. La différence est que dans la première affaire, plusieurs mois s’étaient écoulés entre la permission de sortie et l’agression tandis que dans la deuxième affaire, quelques jours seulement s’étaient écoulés.

CE, 2007, « Mme S… » concerne une femme qui subit une vaccination contre l’hépatite B. elle développe ensuite une sclérose en plaque. Y a-t-il un lien de causalité ? Toute repose sur l’analyse d’un rapport d’expertise. Le rapport est un peu hésitant. L’arrêt dit que « les rapports d’expertise, s’ils ne l’ont pas affirmé, n’ont pas exclu l’existence d’un tel lien de causalité ». Le juge déduit qu’il y a causalité adéquate entre la vaccination et la sclérose en plaque donc la victime est indemnisée.



  1. Les exceptions



Il arrive en droit administratif que certains préjudices soient insusceptibles de réparation même s’ils sont certains et même s’il y a une causalité adéquate entre eux et un fait imputable à l’administration. C’est le cas dans trois domaines :

  • Les servitudes d’urbanismes : on considère traditionnellement que les servitudes d’urbanisme ne sont pas des dommages indemnisables car cela coûterait très cher à l’Etat. CE, 1989,« époux Mazin » concerne un projet de travaux publics concernant une propriété privée. Cela a découragé l’achat de cette propriété car le propriétaire voulait vendre son bien. L’arrêt dit que les servitudes d’urbanisme ne sont pas indemnisables. Le seul dans lequel elle peut être indemnisable, c’est lorsqu’elle porte atteinte à un droit acquis antérieurement à sa survenance. EX : un permis de construire est délivré à un propriétaire et la servitude d’urbanisme contrarie son projet et l’empêche de construire ce qu’il avait prévu donc il y a atteinte à un droit acquis préalablement donc il y a indemnisation.
  • La dépréciation des immeubles et la perte de clientèle due à la création de voies publiques nouvelles ne sont pas indemnisables. CE Sect., 1972, « société les vedettes blanches » est l’arrêt de référence.
  • La naissance d’un enfant à la suite de l’échec d’un avortement : une telle naissance n’est pas indemnisable d’après la jurisprudence du CE pour des raisons éthiques. CE ass., 1982, « Delle R… » concerne cela.



§2. La date de l’évaluation du préjudice

        1. Les dommages aux biens



L’arrêt de référence est celui CE Ass., 1947, « compagnie générale des eaux contre veuve Pascal » qui prescrit que le préjudice est évalué à sa date de réalisation et non pas à la date du jugement. On ne prend pas en compte d’éventuelles dégradations supérieures du bien qui interviendraient postérieurement à la date de réalisation.

Il y a un correctif : si la victime apporte la preuve qu’elle ne pouvait pas réparer son bien avant la date du jugement, l’évaluation du préjudice est reportée à la date à laquelle la victime aurait pu réparer. Dans cette affaire, une femme est victime d’une inondation le 10 février 1942. Le CE rend son arrêt un peu plus de cinq ans plus tard, le 21 mars 1947. Elle n’a pas réparé son immeuble. Elle n’a pas réussi à prouver qu’elle était dans l’impossibilité financière de réparer son immeuble. On n’indemnise que les dommages survenus le 10 février 1942. Chapus propose d’abandonner cette jurisprudence.



        1. Les dommages aux personnes



L’arrêt de référence est celui du CE, 1967 « Veuve Aubry » qui dit que l’évaluation du dommage aux personnes se fait à la date du jugement et non pas à la date du dommage. Cela est favorable à la victime car cela permet de prendre en compte son état après l’accident. On estime que lorsque la victime a manifesté un retard anormal à demander des dommages et intérêts, l’évaluation ne se fait pas à la date du jugement mais à la date où le jugement serait intervenu si la victime avait fait sa demande dans un temps normal.

EX : une victime d’un accident chirurgical est immobilisée pendant trois mois et si elle ne dépose pas sa demande dans les trois mois, cela est normal. Au bout de ces trois mois, elle va mieux et elle attend six mois pour déposer sa demande. Le juge peut considérer que ce délai est anormal et l’évaluation va s’effectuer avant les six mois.

Lorsque l’indemnisation consiste en une rente, il y a possibilité d’indexer cette rente sur le coût de la vie avec CE, 1981 , « centre hospitalier de Lisieux ».



§3. Le problème du préjudice moral

  1. Jusqu’en 1961 : l’exclusion du préjudice moral



Le préjudice matériel était indemnisé tout comme le préjudice corporel. La seule chose qui a tardé est l’indemnisation des souffrances physiques qui n’a été admise qu’en 1958.

Les troubles dans les conditions d’existence sont des troubles divers qui résultent du fait dommageable notamment l’obligation de changer son mode de vie. C’est une catégorie qui englobe tous les préjudices qu’on a du mal à ranger dans les autres catégories. Cette expression de troubles dans les conditions d’existence est utilisée par le CE. Cela peut être, par exemple, l’obligation d’interrompre ses études, l’obligation de cesser ses activités sportives et une éviction illégale c’est-à-dire le fait d’avoir perdu son emploi public à la suite d’une illégalité de l’administration. Le temps que le juge soit saisi et qu’il affirme que l’éviction n’aurait pas dû avoir lieu, l’individu a déjà trouvé un emploi. Par exemple, CE, 2008,« Stilinovic » qui concerne un magistrat qui a fait l’objet d’une éviction illégale.

Mr Fougère, commissaire au Gouvernement appelait un préjudice, l’atteinte à la partie sociale du patrimoine moral. Il a inventé cette expression dans ses conclusions sur CE, 1954, « Bondurand ». Cela couvre la souffrance morale qui est liée à la vie en société. Il s’agit du préjudice esthétique, l’atteinte à l’honneur et les atteintes à la réputation. CE,2006, « Agopyan » concerne un architecte qui avait conçu un stade de football à Nantes. La commune a cru bien faire en modifiant le stade pour des raisons de commodité, sans l’accord de l’architecte qui s’est plaint. Il a gagné.

Fougère appelait le préjudice moral l’atteinte à la partie affective de la morale. C’est un problème intérieur qui est souvent lié à la perte de quelqu’un. Ce préjudice n’était pas indemnisé en droit administratif avant 1961. Dans l’arrêt « Bondurand » de 1954, Fougère avait proposé que pour la première fois, on indemnise ce préjudice et l’arrêt du CE réunit en Assemblée continue à refuser cette indemnisation. Le CE explique qu’il ne veut pas monnayer les souffrances purement intérieures. Un jeune homme avait perdu toute sa famille, dans cette affaire, à la suite d’un accident de la circulation dont l’administration était responsable.



  1. Depuis 1961 : l’indemnisation



L’arrêt de référence est CE Ass., 1961, « Letisserand » concernant un accident de la circulation en 1955. Un camion départemental renverse une moto et les deux passagers de la moto sont tués. La famille demande une indemnisation au département. Le CE reconnaît que ce type de préjudice doit être indemnisé. Il a accordé 1000 Francs au père de la victime. Mr Heumann, commissaire au Gouvernement avait dit que cela ne remplaçait pas la peine mais que l’argent contribue à atténuer le chagrin. Il explique que la conscience collective des français attend le changement de jurisprudence. La majorité de la doctrine était contente de cet arrêt mais certains auteurs comme George Morange l’ont critiqué. Il a dit que cette jurisprudence est matérialiste en estimant que tout est monnayable y compris la souffrance purement intérieure.

CAA Versailles, 2007, « consorts Cyrot » donne des tarifs pour l’indemnisation du préjudice moral. Pour la perte d’un fils/d’une fille/d’un père/d’une mère ou d’un conjoint, on peut espérer 15 000 euros. Pour la perte d’un frère ou d’une sœur, on peut espérer environ 5 000 euros.



Section 2 : La réparation du préjudice

§1. Les exonérations

  1. Le fait de la victime

  1. La faute de la victime



Lorsque la victime commet une faute lors de la survenance du dommage, l’indemnisation est diminuée pour tenir compte de cette faute. Souvent, c’est une cause d’exonération partielle mais cela peut, rarement être totale.

CE, 2006, « Mme Baillet » concerne une affaire qui se passe dans l’office national de la chasse (établissement public) dont Mme Baillet est un agent. Il y a une preuve que l’établissement public a pratiqué un harcèlement moral sur cette femme mais elle a « largement contribué à la dégradation des relations de travail par ses agissements ». On estime son préjudice à 10 000 euros mais pour tenir compte de sa faute, on condamne l’administration à verser la moitié de la somme.



  1. La situation de la victime

  1. L’exception d’illégitimité



C’est l’hypothèse dans laquelle la victime n’a subit un dommage que parce qu’elle s’était placée elle-même dans une situation illégitime. CE Sect., 1980, « Ax-les-thermes » concerne l’administration qui décide de mettre un individu en dehors du domaine public. Il est blessé en se débattant. On s’aperçoit que l’exécution forcée était irrégulière mais la cause d’exonération totale va jouer car l’individu n’ignorait pas qu’il n’avait aucun droit d’être là où il se trouvait.

Il y a aussi un cas avec une entreprise de pisciculture constituée sans l’autorisation de l’administration qui un jour, renverse non intentionnellement des produits toxiques qui tuent des poissons. Il n’y a pas d’indemnisation du pisciculteur. On applique « nemo auditur ».



  1. L’exception de risques acceptés



Une victime n’a pas de droit à réparation lorsqu’elle a accepté en toutes connaissances de causes un risque qui s’est finalement réalisé et a causé son dommage.

CE Sect., 1975, « département de la Haute Savoie » concerne des promeneurs, en hiver, qui décident de faire une promenade en montagne. Un panneau leur déconseille de passer car il y a des risques d’avalanches. Ils passent quand même et une avalanche se déclenche. Ils se plaignent. On dit que les promeneurs ont accepté un risque en toutes connaissances de causes donc ils ne sont pas fondés à se plaindre à ce que ce risque se soit réalisé.



  1. Les causes étrangères

  1. La faute d’un tiers



C’est en principe, une cause d’exonération partielle de l’administration. CE, 1986, « commune de Cilaos » concerne des enfants qui sortent de l’école, à la Réunion, et se noient dans une rivière qui avait débordée de son lit. La famille demander une indemnisation. On découvre qu’il y a trois fautes à l’origine du dommage :

  • La commune parce que le maire, en tant qu’autorité de police a commis une faute lourde est ne prenant aucune mesure pour assurer la sécurité des enfants.
  • Les enfants eux-mêmes qui ont commis une faute d’imprudence car on leur avait dit de ne pas s’approcher de la rivière.
  • Le directeur de l’école a commis une faute de négligence en laissant partir des enfants seuls alors qu’il y avait un risque. Il entraîne donc la responsabilité de l’Etat.

C’est bien la faute d’un tiers. La commune est attaquée et pour se défendre, elle invoque l’imprudence des enfants et la faute du directeur. On va estimer le montant du préjudice et le CE va le découper en trois. Cela va permettre à la commune de s’exonérer des deux tiers du montant de l’indemnisation.

La responsabilité in solidum est admise de façon beaucoup plus restrictive en droit administratif. La victime peut obtenir l’indemnisation de la totalité de son préjudice auprès de celui qu’elle veut qui dispose ensuite d’un recours récursoire pour récupérer le reste de l’indemnisation. Traditionnellement, en droit administratif, la responsabilité in solidum n’est admise que dans trois cas :

  • En matière de dommage de travaux publics
  • En matière de responsabilité sans faute
  • En matière de responsabilité pour faute lorsque le défendeur et le tiers sont deux personnes publiques qui collaborent à un seul et même service public. CE, 1978, « Laporta » concerne des enfants qui subissent un accident au moment où ils attendaient le bus de ramassage scolaire. Ils étaient bien sur l’emplacement et ils se sont fait renverser. On découvre qu’il y a bien deux personnes qui sont responsables du dommage : la commune sur le lieu duquel l’accident est arrivé et l’établissement public de transport scolaire. Il y a bien deux personnes publiques qui collaborent au service public de ramassage scolaire. La victime peut attaquer celle des deux personnes publiques qu’elle veut et elle est condamnée à réparer l’intégralité du dommage, à charge pour elle de se retourner contre l’autre responsable.

La doctrine critique beaucoup cela. Le professeur Chapus souhaiterait que la responsabilité in solidum soit admise comme en droit privé. Dans les années 1940, la responsabilité in solidum était beaucoup plus admise.

CE, 2010, « Madranges » n’est pas très clair mais on voit qu’il tente d’élargir les cas de responsabilité in solidum. Le prof pense qu’il élargi la troisième hypothèse à certains cas où les deux personnes publiques à l’origine du dommage n’ont pas collaboré au même service public. Dans cette affaire, la responsabilité in solidum est admise concernant un étudiant en faculté de médecine qui était porteur de la tuberculose mais qui ne le savait pas. Il a passé des examens au titre de la médecine préventive et alors que l’examen avait décelé la tuberculose, le médecin n’a pas été capable de le voir et de prendre des mesures. Quelques mois plus tard, il y a un examen fait dans un hôpital. A nouveau, les examens révèlent la tuberculose et on minimise le problème. Trois ans plus tard, la tuberculose se déclare mais l’individu est mal en point. Cela est dû à deux personnes publiques différentes : une université et un hôpital. Si on appliquait la jurisprudence « Laporta », on n’aurait pas pu attaquer une seule personne car les deux personnes ont un service public différent et qui n’ont pas collaboré. Il y a quand même un lien car les deux négligences ont contribué à la même perte de chance. On n’exige pas que les deux personnes publiques collaborent au même service public.



  1. La force majeure



La force majeure est l’événement extérieur, irrésistible et imprévisible. La force majeure est rarement retenue en droit administratif.

CE, 1988, « Compagnie marseillaise de Madagascar » concerne un cyclone qui se passe à La Réunion. L’administration est incapable d’empêcher le dommage. Les victimes attaquent l’administration qui invoque la force majeure. Le CE dit que c’est un cas de force majeur car on n’en avait jamais connu d’aussi fort à l’époque.

CE, 1986, « Commune de Val d’Isère » concerne des personnes qui sont victimes d’une avalanche. Elles attaquent l’administration qui invoque la force majeure. Le juge enquête et découvre que des avalanches de même violence s’étaient produites trois fois au moins depuis 1917. C’était donc prévisible.

CAA Douai, 2008, « SNCF » concerne la SNCF qui est attaquée parce que les usagers ont été victimes de perturbations de ligne. La SNCF invoque la grève de son personnel. La CAA estime que c’est un événement extérieur, imprévisible car il n’y avait pas eu de préavis mais ce n’est pas imprévisible car la SNCF aurait pu avoir recours à des transports routiers de substitution.



  1. Le cas fortuit



Le cas fortuit est un événement irrésistible, imprévisible mais non extérieur au défendeur. Ce n’est une cause d’exonération que dans l’hypothèse de la responsabilité pour faute. L’arrêt de référence est celui CE Ass., 1971, « département du Var ». C’est l’affaire de la rupture du barrage de Malpassé. Le barrage se rompt et provoque une quantité énorme de victimes. Le département est attaqué car il est propriétaire du barrage. Il invoque le cas fortuit comme cause d’exonération. Il y a bien cas fortuit car c’est irrésistible, imprévisible et non extérieur au défendeur. Il y avait, en réalité, deux catégories de victimes :

  • Ceux qui ont reçu l’eau sur la tête qui bénéficient d’une responsabilité sans faute parce qu’il n’y avait aucun lieu juridique. Ils vont être indemnisés malgré le cas fortuit.
  • Ceux dont les canalisations intérieures ont sauté qui ont un lien juridique avec le barrage. L’inondation est arrivée par le tuyau de leur abonnement d’eau. Ce sont des usagers du barrage. En droit français, les usagers ne bénéficient que d’une responsabilité pour faute présumée. Le cas fortuit est une cause d’exonération.



§2. Le calcul de l’indemnité principale

        1. Le principe



Il faut procéder à la réparation intégrale du préjudice. Cela signifie deux choses :

  • Il ne faut pas que l’indemnité soit inférieure au préjudice
  • Il ne faut pas, non plus, que l’indemnité soit supérieure au préjudice

Il faut déduire de l’indemnité finale les sommes qui vont être versées par les caisses d’assurance ou de sécurité. L’arrêt de référence est celui du CE, 2008, « CPAM de Seine Saint Denis ». La jurisprudence déduit les plus values qui seraient éventuellement engendrées par le fait dommageable. L’arrêt de référence est celui de CE Sect., 1986, « entreprise Blondet ». A l’origine, il y a une décision de l’administration de construire un parking près d’un hôtel ce qui engendre une perte de clientèle. Le propriétaire demande une indemnisation. Le juge évalue le préjudice à 110 000 Francs. Le fait que le parking soit construit va attirer une plus value pour l’hôtel. Cette plus value est estimée souverainement par le juge à 50 000 Francs. La somme réellement versée à l’hôtel sera de 60 000 Francs.



B)Les exceptions : les régimes spéciaux de réparation



On retrouve la souveraineté du législateur et il a pu arriver, dans le passé, que certaines lois prévoient un système de réparation forfaitaire. Le juge est donc obligé de s’incliner et ce système va remplacer le régime de réparation intégrale. Le système du forfait de la pension a été très célèbre.

C’est CE, 1906, « Paillotin » qui avait créé cela mais qui n’est plus utilisé aujourd’hui. Selon cet arrêt, la jurisprudence avait entendu accorder aux agents de l’administration, qu’une indemnité forfaitaire. A l’époque, c’était assez généreux. Au fur et à mesure du temps, on s’est rendu compte que cela devenait défavorable aux fonctionnaires. La doctrine a énormément critiqué ce système.

Cette jurisprudence a été renversée par CE Ass., 2003, « Mme Moya-Caville » qui donne aux agents, la possibilité, en plus de la réparation forfaitaire, une indemnisation complémentaire afin que la réparation du préjudice soit intégrale. Cette réparation intégrale est due même en l’absence de faute. En l’espèce, cela concernait un agent victime d’une maladie professionnelle et il reproche à l’hôpital une faute consistant à l’avoir laissé dans son service alors que la maladie (allergie au formole) commençait.



§3. Le calcul des indemnités accessoires

  1. L’indemnité compensatoire des frais de justice



Cela a d’abord existé en droit privé et qui est prévu par l’article 700 du Code de Procédure Civile. En 1988, un décret a décidé de rendre possible cette indemnité en droit administratif. Cela couvre les honoraires d’avocats et tous les frais de justice.

Le premier arrêt du CE qui a appliqué est celui du CCE, 1988, « époux Deviller ». Ils avaient reçu 2 000 Francs.

Ce décret de 1988 a été relayé par une loi. Il se trouve à l’article L761-1 du Code de justice administrative.

Pour l’avoir, il faut demander cette indemnisation. Si le justiciable oublie de la demander, il n’aura pas d’indemnisation de ces frais de justice.

Le juge peut refuser cette indemnisation librement. Les textes précisent que le juge se prononce en équité. C’est l’hypothèse dans laquelle une administration gagne le procès et elle a des moyens par rapport à l’administré qui a perdu. Cela est fait pour éviter d’accabler l’administré qui perdrait le procès.

Certains avocats empochent cette indemnité alors qu’elle ne leur est pas destinée. Les avocats se payent deux fois et le client n’a rien du tout. Lorsque le tribunal accorde cette indemnité, il le fait au titre de l’article du Code de justice administrative.

Cette indemnisation peut être demandée pour tout contentieux et notamment, pour le recours pour excès de pouvoir.



  1. Les intérêts moratoires

Ce sont les intérêts qu’aurait rapportés l’indemnité principale si elle avait fait l’objet d’un placement rémunéré au taux légal du loyer de l’argent. Jusqu’en 2009, ces intérêts étaient assez élevés (supérieurs à 3%) alors qu’aujourd’hui, on est à 0,38%.

On donne cela car comme la procédure prend environ 4 ans, le justiciable aurait dû avoir ces indemnités plus tôt. On regarde donc ce que le placement au taux légal aurait rapporté au justiciable si il avait disposé de la somme 4 ans auparavant.

Il faut demander ces intérêts car ils sont calculés de façon très différente s’il les a demandés ou s’il ne l’a pas fait :

  • Si le justiciable les a demandé, le juge va les calculer dès le début du contentieux c’est-à-dire à compter du jour où la demande principale a été faite à l’administration
  • Si les intérêts moratoires n’ont pas été demandés, ils ne sont calculés qu’à compter du jugement.



  1. Les intérêts des intérêts



C’est la capitalisation des intérêts moratoires c’est-à-dire que l’idée de ces intérêts est de pousser encore plus loin la capitalisation des intérêts, en procédant tous les 12 mois, à une capitalisation. Cela signifie qu’on va intégrer fictivement les intérêts au bout d’un an dans le capital. Il faut les demander car si on ne les demande pas, on n’obtient rien du tout. En principe, on la demande au bout de 12 mois d’attente du jugement, on dépose une demande au greffe d’intérêt des intérêts.

Jusqu’en 2003, la jurisprudence administrative exigeait de renouveler la demande tous les 12 mois. S’était une jurisprudence très sévère. La doctrine a protesté et depuis 2003, il suffit de la demander une seule fois.

CE, 2003, « Melle Vinot » a consacré ce principe de demande unique d’intérêt des intérêts.



Chapitre 2. La responsabilité pour faute



Planiol, en droit civil, a dit que la faute est un manquement à une obligation pré existante. Le droit administratif reprend cette définition. La faute mène à une indemnité tandis que l’illégalité mène à une annulation. Les deux mots ne sont pas du tout synonymes.

On considère qu’une illégalité est forcément constitutive d’une faute. Lorsqu’on arrive à faire reconnaître une illégalité, on peut en profiter pour demander une indemnisation sur le fondement de la faute. L’inverse n’est pas vrai : une faute n’est pas forcément constitutive d’une illégalité. Par exemple, un chirurgien qui fait un coup de bistouri malheureux n’a pas commis une faute mais une maladresse.



Section 1 : La distinction entre faute personnelle et faute de service

§1. Distinction



Cette distinction a été faite par TC, 1873, « Pelletier ». Dans cette affaire, on se penchait sur un décret loi de 1870 qui avait supprimé un système de protection des fonctionnaires appelé la garantie des fonctionnaires. L’idée est qu’on ne pouvait pas mettre en jeu la responsabilité des fonctionnaires devant les tribunaux judiciaires sans autorisation préalable du CE. C’était une garantie très efficace et presque trop car le CE ne donnait quasiment jamais son autorisation. Ce système était injuste donc le décret loi de 1870 y met fin mais du coup, on tombe dans l’excès inverse. Il semble, désormais, qu’on puisse attaquer les fonctionnaires, pour n’importe quel type de faute, sur leur patrimoine personnel, devant les tribunaux judiciaires. L’arrêt « Pelletier » donne une interprétation très audacieuse du décret loi en estimant que le système de l’an VIII établissait une double protection des fonctionnaires et que le décret de 1870 n’en a supprimé qu’une seule. Selon lui, le système de l’an VIII protégeait les fonctionnaires pour les conséquences de leurs fautes personnelles et pour les conséquences de leurs fautes de service et le décret loi de 1870 n’aurait supprimé que la protection relative aux fautes personnelles. Il aurait laissé subsister la protection relative aux fautes de service. Il a été considéré que M. Pelletier se voit reprocher une faute de service donc il doit être protégé et son administration doit être poursuivi. Le TC dit que lorsqu’il y a faute de service, on ne peut pas attaquer le fonctionnaire devant le tribunal judiciaire mais on peut attaquer son administration devant le TA. On vit toujours sur cette distinction entre faute personnelle et faute de service.



  1. La faute personnelle



Laferrière a donné une définition au XIXème siècle : « la faute personnelle est la faute qui révèle l’homme avec ses faiblesses, ses passions, son imprudence ». La jurisprudence s’est beaucoup développée sur la question et il y a trois catégories différentes de faute personnelle.



        1. La faute commise en dehors du service et « dépourvue de tout lien avec lui »



C’est la plus facile à repérer car la faute du fonctionnaire est commise très loin de l’administration. CE, 1951, « société standard des pétroles » concerne un militaire qui cause un accident avec son véhicule alors qu’il est en mission. Il s‘agit d’un accident intervenu dans les mêmes conditions qu’un simple particulier. C’est en dehors du service et sans lien avec.

CE, 1991, « société d’assurance les Mutuelles Unies » concerne un pompier qui provoque un incendie. Le fait qu’il soit pompier n’a rien à voir avec le fait qu’il déclenche un incendie. C’est en dehors du service et sans lien avec.

CE, 1954, « Veuve Litzler » concerne un douanier qui commet un assassinat en dehors de son temps de service mais avec son arme de service. On aurait pu hésiter. La faute est bien commise en dehors du service mais il y a l’arme qui sert. Ce qui est déterminant, c’est que le règlement de service prescrivait de déposer son arme en partant. Donc, on a considéré qu’il n’y avait pas de lien légal avec le service car le douanier a gardé de façon fautive son arme de service donc il a commis une faute.



        1. La faute commise en dehors du service mais « non dépourvue de tout lien avec lui »



CE Ass., 1973, « Sadoudi » concerne un policier qui tue accidentellement quelqu’un, à son domicile, avec son arme de service. La faute est commise en dehors du service ce qui ne pose aucun problème mais le deuxième point pose problème car il y a un lien. Le règlement de la police obligeait le policier a gardé son arme chez lui. La faute n’aurait pas pu être commise sans le règlement.

CE, 1981, « commune de Chonville-Malaumont » concerne un pompier qui jette un mégot de façon imprudente en dehors de son temps de travail et provoque un incendie. Il y a un lien avec le service car au moment où il a jeté son mégot, il avait reçu l’ordre d’aller sur ce lieu recherché un objet qu’il avait oublié lors d’une mission.

CE Ass., 1949, « Delle Mimeur » concerne des militaires qui utilisent les véhicules qui leur sont confiés pour se promener. En s’éloignant, il cause un accident de la route. La jurisprudence dit qu’il s’agit d’une faute commise en dehors du service mais en lien avec le service puisque le véhicule avait été confié au militaire par l’administration.

CE, 1988, « époux Raszewski » concerne un assassinat commis par un gendarme en dehors de son temps de service mais grâce à des informations qu’il avait recueilli sur ses propres meurtres précédents. Il y avait des témoins donc il les tue. Il y a un lien avec le service qui est les informations que son propre service lui a fourni.



        1. La faute commise à l’occasion du service mais « détachable du service »



La faute personnelle va être commise pendant le service. C’est une faute personnelle pour deux raisons alternatives :

  • Soit c’est une faute intentionnelle donc cela détache l’agent de son service
  • Soit c’est une faute non intentionnelle mais d’une gravité inadmissible 



          1. La faute intentionnelle

CE, 1937, « Delle Quesnel » concerne une receveuse des postes qui a commis des détournements de fonds. Elle a commis la faute dans son travail mais c’est une faute intentionnelle qui la détache du service.

CE, 1953, « Oumar Samba » concerne un gardien de prison qui organise un vol avec des prisonniers qu’il avait sous sa garde.

Il y a toute une série d’arrêts qui concernent les diffamations publiques ou les injures publiques commises par des fonctionnaires pendant leurs services. Ce sont des actes intentionnels qui les détachent de leurs services.

Des actes de violence exercés pendant le service par des agents sont détachables comme Ch.Crim., 2005, « H et L ».

CE Ass., 2002, « Papon » concerne le concours actif de M. Papon à la déportation de 76 personnes pendant le régime de Vichy est une faute personnelle de 3e catégorie.



    1. La faute non intentionnelle mais d’une gravité inadmissible



TC, 1953, « Veuve Bernadas » concerne une négligence d’un commissaire de police qui a omis la protection d’une personne dont il savait qu’elle était menacée.

TC, 1974, « commune de Lusignan » concerne un agent de l’administration qui conduit en état d’ivresse et tue une personne. Cela détache l’agent du service.

1ère civ., 1997, « Corrocher » concerne l’erreur d’un archéologue qui provoque l’effondrement d’une tour moyenâgeuse qu’il était chargé de consolider.

Dans des cas très rares, le CE fait preuve de générosité. CE, 1957, « Adolphe » concerne des soldats qui manipulent des explosifs et fument en les manipulant. Ils sont blessés très grièvement et ils font des victimes qui envisagent de les attaquer sur le fondement de leur responsabilité personnelle. Le CE considère qu’il n’y a pas de faute personnelle.


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